Homélie du P. Gérard REY
En écoutant l’Évangile d’aujourd’hui , on pourrait penser que le prophète Jésus donne un cours de sociologie. Il est assis sur l’escalier qui conduit à la salle du trésor, et il invite ses disciples à observer le fonctionnement du temple. Beaucoup de gens riches déposent de grosses sommes dans les troncs. Et voilà qu’une pauvre veuve s’avance et glisse deux petites pièces, deux leptes. C’est la plus petite monnaie de l’époque : deux centimes, deux fois rien. Mais pas rien pour elle.
L’apparition de cette veuve dans la salle du trésor du temple a quelque chose d’un peu incongru. Voilà que d’un seul coup le trésor du temple n’est plus une montagne d’or mais une veuve. Or il faut savoir que les veuves au temps de Jésus sont des exclues. N’ayant plus de mari, elles n’ont plus de raison sociale, elles n’ont plus d’existence sociale. Et comme il n’y a pas de sécurité sociale, les veuves sont condamnées à la pauvreté. Aux yeux de Jésus, c’est pourtant cette veuve qui est la seule richesse. Ce n’est pas l’argent qu’elle apporte mais sa vie : regardez dit Jésus. Elle donne sa faim. Elle épuise ses réserves, « tout ce qu’elle avait pour vivre ». En résumé, elle a donné toute sa vie.
Quelques siècles plus tôt, sur la parole, du prophète Élie, la veuve de Sarepta, avec confiance, osait accomplir une démarche semblable. Comme la veuve de Jérusalem elle épuise ses dernières réserves. Elle sacrifie son reste de farine, et du coup son geste devient sacré. En ce temps là, en effet, la farine pouvait, être offerte en sacrifice.
Les riches, d’après Jésus, donnaient beaucoup, mais préservaient pour eux bien plus encore. La pauvre veuve, donnait apparemment bien peu, mais elle ne gardait rien. En elle, Jésus reconnaît quelqu’un qui ressemble à Dieu, car selon Jésus, il n’est pas un amour véritable, celui qui ne se traduit pas en gestes pratiques, par des actes.
Jusque là, on pourrait croire qu’il s’agit d’une leçon de morale. Mais non, c’est bien autre chose : la veuve de l’Évangile c’est sa vie qu’elle partage puisqu’elle donne dans un geste un peu fou « tout ce qu’elle avait pour vivre », toute sa vie. Par là, elle annonce le don que Jésus va faire de sa propre vie, quelques jours plus tard, pour que le monde soit sauvé. Et la veuve de Sarepta a fait une démarche semblable, elle a donné au prophète Élie jusqu’à sa dernière poignée de farine. Ces textes ne sont donc pas des leçons de morale, ce sont des paraboles de Pâques : l’annonce du salut par le don gratuit de soi...
En réalité, la pauvre veuve c’est le Christ, c’est lui le personnage central du récit. Jésus enseigne ses disciples à partir de ce qu’il voit et ce qu’il vit… N’imitez ni les scribes prétentieux, ni les gens riches, ni les puissants, mais plutôt cette pauvre veuve. Ne donnez pas seulement votre savoir et votre superflu, mais donnez tout, donnez de votre vie, de votre dignité…
En ce jour du 11 Novembre où nous célébrons le centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale nous nous souvenons de tous ces hommes jeunes, et de toutes les victimes mort pour la France comme cela est inscrit sur les monuments de nos communes, voir de nos églises… Ces victimes sont un signe qui doit nous faire réfléchir. A certains moments de son histoire l’humanité est capable du pire : l’homme est capable de perdre la raison, d’utiliser sa puissance pour détruire , ou d’oublier les droits les plus fondamentaux. La violence n’ a jamais été une solution heureuse pour résoudre les crises...
En ces temps troublés (avec la montée des nationalismes ), puissent ces soldats, ces victimes des guerres rester présents en nos cœurs comme des figures du courage, du don de leur vie à la manière de la veuve de Sarepta et celle de l’évangile, pour une cause qui dépassaient leur intérêt personnel. Beaucoup ont donné leur vie, en pensant à nous qu’ils ne connaissaient pas, au désir qu’ils avaient d’une vie plus belle, plus juste, plus pacifiée, d’un pays libre. Coût terrible de la liberté, de la dignité, de la paix véritable.
Le plus bel hommage que nous pouvons leur rendre aujourd’hui, c’est de continuer à bâtir une société d’estime réciproque, où nous nous faisons tous, inlassablement d’humbles serviteurs de la paix dans la justice avec cette conviction que l’amour est plus fort que la haine, et que la fraternité est possible. Une image est restée gravée dans ma mémoire, relatée par le film joyeux Noël : celle de soldats allemands et français sortant de leur tranchée pour vivre un moment de partage convivial, en jouant ensemble un match de foot. La musique de douce nuit avait remplacé le bruit des armes et des canons. je repensais alors à ce conte libanais « un jour en marchant dans la montagne, j’ai vu une bête. En m’approchant, je me suis aperçu que c’était un homme. En arrivant près de lui, j’ai vu que c’était mon frère »
Aujourd’hui renouvelons sans nous décourager, les uns les autres, notre engagement à être des artisans de paix, à nous faire proches de nos frères en humanité… une manière de donner sa vie au jour le jour, à la suite du Christ, à la manière de la veuve de Sarepta et de Jérusalem qui ont tout donné : donner sa vie en servant la fraternité dans nos familles, quartiers, communes, dans nos écoles, sur nos lieux de travail…
Heureux les artisans de Paix, ils seront appelés fils de Dieu avons-nous proclamé à la Toussaint. Amen.